Cahiers d'études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, N°33, janvier-juin 2002

LA GRÈCE ET L'EUROPE UNE INTÉGRATION PARADOXALE

Régis D ARQUES

Qui pourrait aujourd'hui douter de l'identité européenne de la Grèce ? Cette simple question revêtira sans doute un caractère blasphématoire, ou tout du moins irrationnel, aux yeux des philhellènes convaincus. Les adeptes de la «langue d'Homçre » mettront en avant que le vocable et l'idée d' Europe sont originellement issus de la pensée grecque, que les valeurs démocratiques véhiculées par l'Occident sont héritées de son prestigieux passé antique, que notre civilisation industrielle et technique est irrémédiablement dépendante des découvertes mathématiques vieilles de plus de deux mille ans d'un Pythagore ou d'un Euclide, qu'Athènes enfin est bien plus qu'une capitale moderne : c'est le centre névralgique et le cœur spirituel de tout le continent. Les hellénistes les plus fervents se joignent souvent, dans leurs propos, aux Grecs pour affirmer sans modération que cette patrie est le «milieu » du monde. Faut-il pour autant rester prisonnier de discours qui oscillent entre lieu commun et vérité inextinguible ?

Grécité et identité européenne : un jeu de miroirs

Les représentations du caractère européen de la Grèce sont souvent décalées par rapport aux réalités économiques et géopolitiques actuelles du pays. La mise en avant du passé antique semble relever d'un canular, d'un schéma mythique dont l'objet ne serait pas tant la mystification de l'interlocuteur étranger que l'expression d'une autocélébration. L'Etat et la nation grecs se voient ainsi attribuer un rôle primordial dans la constitution de l'identité européenne. Les Hellènes se posent en héritiers et descendants directs de leurs brillants ancêtres. Les voyageurs qui arpenteront la péninsule et ses îles seront