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Maintien/Rupture : Un Nouveau Couple Pour L'Analyse des Migrations

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Paul-André Rosental*
Affiliation:
CEREPI-Laboratoire de Démographie Historique

Extract

D'ordinaire la démographie analyse la migration en tant que telle, cherchant à décrire la direction, l'intensité et la composition de ses flux, ainsi qu'à retracer ses causes et ses effets. C'est dans une perspective différente que nous nous proposons de porter l'attention sur elle, en l'étudiant non pas en tant qu'objet en soi, mais comme un outil permettant d'observer d'autres phénomènes, qui ne sont pas nécessairement de nature démographique.

La dimension de la migration qui est ici considérée est d'ordre biographique. La démographie se préoccupe en priorité de l'aspect physique des mouvements migratoires. Sa pratique la plus courante, l'analyse statistique, renforce naturellement cette tendance. Elle réduit les migrants à un ensemble prédéterminé de variables, et dissocie ces variables individuelles les unes des autres, négligeant le plus souvent les articulations qui les unissent et qui, seules, leur donnent sens. Au contraire, nous entendons examiner la migration en tant que créatrice pour l'individu d'un différentiel spatial, et observer comment la perception de ce différentiel se répercute sur le migrant et influe sur ses comportements.

Summary

Summary

Demographics normally privileges the physical side of migrations, seeing in them a simple displacement from one space to another. This article proposes, on the contrary, to study migration on the basis ofthe reference spaces chosen by migrants. This approach leads to the distinction between two extreme types of migration: (1) as break, when the migrants’ concerns center around their place of arrival, and (2) as conservation when they remain centered on their place of origin. In analyzing, for example, the intra- and inter-generational behavior of migrants, one can provide a methodological translation of these two notions. Applied to the Paris area at the end of the 19th century, this translation allows us to differentiate the migrants’ modes of integration from their modes of non-integration, by linking them in particular to their regional origin.

Type
Identités, Solidarités, Migrations
Copyright
Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1990 

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References

Notes

* Je remercie Maurizio Gribaudi, Daniel Milo et Alain Boureau pour leurs critiques et leurs conseils durant la conception de ce travail. Je suis également reconnaissant à Jacques Revel du soin qu'il a apporté à la lecture du manuscrit de cet article, et des suggestions qu'il m'a faites.

1. D'autres espaces de référence que celui de départ et celui d'arrivée sont évidemment possibles. Mais l'avantage de la migration est qu'elle nous garantit que celui qui la pratique doit effectuer des choix entre deux espaces au moins.

2. Au terme de l'enquête, l'observation, qui porte sur les migrations des provinciaux vers la région parisienne aux xixe et xxe siècles, visera à tracer une carte de France des liens au terroir — ou plutôt, à proprement parler, des cartes de France, puisque nous intégrerons la dimension chronologique des phénomènes, en distinguant dans le temps les parcours des migrants. On superposera cette carte à une carte du sentiment identitaire tel qu'on peut le reconstruire à travers un jeu d'indicateurs divers (importance des associations d'originaires, diffusion des journaux à base régionale, etc.).

3. Sur ce point, la littérature sur l'intégration des migrants est une mise en oeuvre de l'intuition que Georg Simmel développe dans son étude sur les rapports entre masculin et féminin : « dans tous les domaines de l'existence intérieure, comme dans ceux qui relèvent du rapport de connaissance entre l'intériorité et le monde, nous saisissons le sens et la valeur d'un élément particulier généralement dans son rapport ou comme son rapport à un autre élément — à un autre qui de son côté détermine son essence en fonction de celui-ci. Mais les deux ne subsistent pas dans cette relativité ; au contraire l'un d'eux, en alternance avec l'autre, tend à devenir un absolu, qui donne à la relation son support et sa norme », cf. Simmel, G., Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989, p. 69.Google Scholar

4. Le numéro de la revue Ethnologie française, X, 1980, consacré à l'identité régionale des migrants, est constitué de nombreux articles illustrant cette optique. On pourrait aussi évoquer l'ouvrage de Raison-Jourde, F. sur La colonie auvergnate de Paris au XIXe siècle, Paris, 1976.Google Scholar

5. Cf. Nadaud, Martin, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Paris, Hachette, 1976.Google Scholar

6. Cf. Yaouanq, J. Le, « Parenté, mariage, fécondité. Quelques aspects de l'immigration normande à Paris dans la première moitié du xixe siècle », Ethnologie française, X, 1980, 2, pp. 147 152,Google Scholar sur les migrants normands à Paris.

7. Nous laissons ici de côté une série de cas spécifiques, celle des migrations qui ressortissent avant tout à une logique professionnelle (artisans ou ouvriers très qualifiés, fonctionnaires, etc.) ou sociale (avec notamment la situation toute particulière des élites).

8. Cf. Chevalier, Louis, Classes laborieuses et classes dangereuses, Paris, Hachette, 1984, ( l re édition 1958).Google Scholar

9. Voir notamment les travaux de ce que l'on appelle communément « l'École de Chicago », en particulier : Joseph, I. et Grafmeyer, Y., L'École de Chicago, Paris, Aubier, 1990 Google Scholar (lr e édition 1979) ; ou encore Wirth, L., The Ghetto, University of Chicago Press, 1956,Google Scholar ( lr e édition 1928).

10. Voir par exemple George, J., « Les Varois de Paris », Ethnologie française, XVI, 1986, 2, pp. 191204.Google Scholar

11. Nous retrouvons ici — quitte à lui donner plus bas des implications différentes — l'une des conclusions de l'étude d'A. Benveniste sur la communauté judéo-espagnole de Paris : « il n'y a pas d'attributs stables de l'identité, qui permettraient un repérage objectif des emprunts et des résistances culturels ; et l'appartenance identitaire ne saurait être définie à partir d'une distribution statistique de traits culturels objectifs, comme la langue ou l'endogamie », Le Bosphore à la Roquette, Paris, L'Harmattan, 1989, p. 157.

12. Voir par exemple, pour des applications très différentes l'une de l'autre, Merton, R. K. et Lazarsfeld, P. éds, Studies in the Scope and Method of the American Soldier, Glencoe, 1950;Google Scholar Boudon, R., Effets pervers et ordre social, Paris, 1977;Google Scholar Gribaudi, M., Itinéraires ouvriers, Paris, EHESS, 1987.Google Scholar

13. Bettelheim, B., Survivre, Paris, 1979 Google Scholar ( lre édition 1952), pp. 91-100.

14. Ibid., pp. 93-94.

15. Ibid., p. 92.

16. On trouvera des développements plus exhaustifs, et des exemples d'applications statistiques, dans Taeuber, I. B., The population of Japan, Princeton, Princeton University Press, 1958.Google Scholar Je remercie Joshua Goldstein de m'avoir indiqué cette pratique de l'administration japonaise, et le professeur Miyajima d'en avoir dressé un historique très détaillé à mon intention.

17. Elle est placée sous la responsabilité conjointe du Laboratoire de Démographie Historique de l'EHESS et du Centre d'Étude et de Recherche sur l'Epargne, le Patrimoine et les Inégalité du CNRS.

18. Grâce à Stéphane Vari, du Laboratoire de Démographie Historique.

19. L'essentiel de notre travail a porté sur des individus mariés (certains migrants célibataires ayant cependant pu être identifiés par recoupements, par exemple grâce aux mentions sur les témoins figurant dans les actes de mariage). Cette limitation serait extrêmement pénalisante dans le cas d'une étude strictement démographique sur les migrations. Elle l'est beaucoup moins dans le cadre de notre problématique, qui consiste à mesurer des processus d'« intégration » différentiels selon l'origine. On pourrait même dire que le fait de laisser échapper les migrations de célibataires, vraisemblablement plus souvent suivies de retours, permet aux phénomènes qui nous intéressent ici de ressortir de manière plus visible. Toutefois, nous nous sommes volontairement concentrés sur les dernières décennies du xixe siècle, afin de minimiser le plus possible la présence et l'effet des migrations temporaires.

20. Cette règle a souffert deux exceptions. D'une part, pour pouvoir observer les éventuels retours de migrants à leur terre d'origine, et donc pour disposer de leurs mentions résidentielles au décès, nous avons eu recours aux Tables de Successions et Absences. Issues de l'administration de l'Enregistrement, elles relèvent, par canton, l'ensemble des défunts, et précisent certaines de leurs caractéristiques d'état civil et de patrimoine. D'autre part, pour suivre les parcours d'intégration des migrants en région parisienne avec une plus grande profondeur temporelle, nous avons utilisé une autre des séries documentaires de l'enquête, celle des actes de mariage des Tra à Paris de 1900 à 1935.

21. L'expression est due à Daniel Milo (référence orale). Il s'agit dans notre cas de tester la fécondité d'une approche qui, dans le domaine spécifique de la démographie historique, grande consommatrice de données, oblige à définir d'emblée le statut des variables utilisées, et à distinguer celles qui servent réellement à construire les modèles explicatifs.

22. Étant donné les sources dont nous disposions, la seule variable qui était délicate à repérer était celle qui concerne les réseaux du migrant en son lieu d'arrivée. Pour l'instant, nous n'en avons retenu qu'une trace, celle que fournissent les mentions des témoins aux mariages célébrés en région parisienne. Cette information est en soi imparfaite, et sera ultérieurement complétée par d'autres indications. Mais elle permet toutefois de mesurer des écarts signifiants, d'une région d'origine à l'autre, et d'une génération d'« implanté » à l'autre.

23. Par souci d'anonymat, tous les patronymes cités dans cet article ont été inventés.

24. Nous désignerons de cette manière le second Pierre de la lignée.

25. Voir, pour la fin du xixe siècle, Charle, C., Les élites de la République, Paris, Fayard, 1987,Google Scholar notamment pp. 387-393 ; ou, pour la monarchie de Juillet, A. Daumard, Les bourgeois de Paris au Xixe siècle, Paris, Flammarion, 1970 (lre édition 1963), p. 209.

26. Disposer d'une assise foncière en province est un des attributs classiques de la notabilité. « Pour les (bourgeois parisiens) les plus riches (la campagne) était un élément du train de vie, grâce aux résidences secondaires, par les revenus et l'influence politique que procuraient des biens ruraux », A. Daumard, op. cit., p. 325.

27. Pour autant, bien entendu, que la profondeur généalogique dont nous disposions permettait de le savoir (concrètement, elle permettait le plus souvent de connaître le destin des deux, voire des trois, générations qui avaient précédé la première migration vers la région parisienne).

28. L'enquête Tra n'est en mesure de suivre que les descendants conservant le patronyme de la lignée, c'est-à-dire pour l'essentiel (les enfants naturels constituent une exception) les enfants des mâles. On ignore donc, dans le cas présent, le sort des neveux et nièces de Pierre II.

29. Sa cadette, Judith, a quant à elle une trajectoire qu'on ne peut analyser entièrement, car on perd sa trace après son mariage. Si elle ne quitte pas le cadre de la Savoie, elle va s'installer en ville, à Évian.

30. Rappelons que sa mère également est née au village, et qu'elle a donc suivi le même parcours que Pierre II. 31. Voir Laslett, P., « The Bastardy Prone Sub-Society », dans Bastardy and its Comparative History, Laslett, P., Oosterveen, K. et Smith, R. M. éds, Londres, Edward Arnold, 1980, pp. 217240.Google Scholar

32. On trouvera la formalisation d'une approche assez similaire dans R. Needham, « Polythetic Classification : Convergence and Conséquences », Man, X, 1975, 3, pp. 349-369.